Lettres à Théo 1
"….ne sachant de quel côté me tourner, je me suis mis à écrire."
janvier 1881, de Bruxelles
Lundi 3 décembre 2012
Je vous offre une sélection de mots écrits par Vincent Van Gogh tirée de la correspondance qu'il a entretenue avec son frère
Théo.
Deux fois par mois pendant une année, je livrerai des extraits de ses lettres.
J'ai choisi d'évoquer la nature qu'il a côtoyée, les couleurs qui l'ont entouré mais aussi son travail et ses œuvres ou ses
rencontres avec des artistes.
Août 1872, Théo Van Gogh, âgé de quinze ans, reçoit la première lettre de son frère Vincent, dix neuf ans.
Cette correspondance durera dix huit années environ, six cent soixante lettres reçues par Théo jusqu' à cette dernière reçue, inachevé
et sans date que Théo serrait dans sa main ce 30 juillet 1890 à Auvers sur Oise, la chaleur était alors accablante…………
"Evidemment, mes lettres n'ont pas la prétention d'être toujours bien frappées, ni de toujours expliquer
exactement les choses. Oh non! Je gaffe souvent."
3 décembre 1881
LONDRES
juin 1873-mai 1875
Janvier 1874
… Continue tes promenades et nourris en toi
l'amour de la nature, c'est la meilleure manière d'apprendre tout ce qu'il faut savoir sur l'essence de l'art.
...
Les peintres comprennent la nature et ils l'aiment.
… Quant à moi, ça va, j'ai un bon logement et c'est une joie pour moi de
découvrir Londres, le style de vie anglais et les Anglais eux-mêmes. Et puis, il y a la nature, l'art et la poésie. Si cela n'est pas suffisant, qu'est-ce qui pourrait l'être?...
30 avril 1874
... Je saisis chaque occasion de faire un tour
dans les environs, mais, pour le moment, je suis très occupé. C'est joli (bien que ce soit la ville). Les lilas, les aubépines et les cytises fleurissent dans tous les jardins; les marronniers
sont splendides.
... Qui aime la nature, trouve son plaisir partout...
31 juillet 1874
...Ici, en Angleterre, j'ai perdu l'envie de dessiner, mais il est possible que cela me reprenne...
10 août 1874
...Achète-toi avec l'argent que je t'ai laissé "Voyage autour de mon jardin", promets-le-moi...
...l'automne commence à inquiéter la nature qui en devient plus recueillie, plus intime.
...Nous allons déménager, nous habiterons une maison toute tapissée de lierre....
Lettres à Théo 2
PARIS
mai 1875-mars 1876
6 juillet 1875
...J'ai loué une petite chambre à Montmartre qui te plairait beaucoup. Elle est exiguë, mais la
fenêtre donne sur un jardinet envahi par le lierre et la vigne vierge.
ETTEN
4 avril 1876
...Le matin précédent mon départ de Paris, j'ai reçu une lettre d'un instituteur de Ramsgate qui me
proposait un stage non rétribué auprès de lui, quitte à voir par la suite s'il peut m'employer.
...Pense comme je sus content d'avoir trouvé quelque chose!
...J'aurai de toute façon le couvert et le gîte assurés.
ANGLETERRE
Ramsgate-Isleworth
Avril 1876-décembre 1876
Ramsgate, 17 avril 1876
...Je suis arrivé hier, vers une heure de l'après-midi. La première chose qui m'a frappé, c'est que la
fenêtre de l'école, qui n'est pas très grande, donne sur la mer.
...C'est une pension où il y a vingt-quatre garçons de dix à quatorze ans.
...Hier soir et ce matin, nous sommes allés nous promener à côté de la mer.
...Sur le littoral, la plupart des maisons sont en pierres jaunes et possèdent toutes un jardin orné
de cèdres et d'arbres à feuilles perpétuelles d'un vert sombre.
...Hier, nous avons fait une longue promenade. Nous sommes allés admirer une baie.; le chemin qui nous
y conduisait traversait des champs de jeune blé ou longeait des haies d'aubépines, etc.
...Arrivés à destination, nous avons vu à notre gauche une côte, haute et abrupte, toute de sable et
de pierre, aussi élevée qu'une maison de deux étages. Au sommet se dressaient des vieux aubépiniers noueux au tronc couvert de lichen gris et aux branches inclinées toutes du même côté, et
quelques sureaux.
...Le sol que nous foulions était jonché de grosses pierres grises, de roches calcaires et de
coquillages.
...A notre droite, la mer, aussi calme qu'un étang, dans laquelle se reflétait la lumière grise d'un
gris délicat où le soleil se couchait.
…
Ramsgate, 6 mai 1876
...En vérité, je connais ici des jours heureux, pourtant je n'ai pas pleine et entière confiance en ce
bonheur, en cette quiétude. L'un peut être la conséquence de l'autre. L'homme se déclare rarement satisfait, tantôt il trouve que ça va trop bien, tantôt il estime que ça ne va pas assez
bien.
Ramsgate, 31 mai 1876
...Est-ce que je t'ai déjà décrite la tempête que nous avons subie dernièrement?
La mer était jaunâtre, surtout près de la côte; à l'horizon un rai de lumière, et au dessus, d'énormes
nuages gris dont on pouvait voir la pluie s'abattre en pluie en lignes obliques. Le vent chassait la poussière du chemin sur les roches au bord de la mer, et il agitait les aubépiniers en fleurs
et les giroflées qui poussent sur les rochers.
A droite, des champs de jeune blé; dans le lointain, la ville avec ses clochers, ses moulins, ses
toits d'ardoise, ses maisons en style gothique, puis plus bas, son port emprisonné entre deux digues qui avancent dans la mer. Elle ressemblait aux villes qu'Albert Dürer a gravé à
l'eau-forte. J'ai vu la mer dans la nuit du dimanche; tout était sombre et gris, mais le jour commençait à poindre à l'horizon.
Lettres à Théo 3
mis en ligne le 27 janvier 2013
AMSTERDAM
9 mai 1877-juillet 1878
19 mai 1877
Ça ne vas pas tout seul, mais j'espère qu'en avançant pas à pas et en m'appliquant, j'arriverai à un résultat.
Evidemment, il me faudra beaucoup de temps; non seulement Corot, mais d'autres encore ont déclaré: Il m'a fallu pour cela quarante ans de travail, de pensée et
d'attention.
……….
28 mai
Je ne travaille et je n'écris pas aussi rapidement ni aussi facilement que je voudrais, mais j'espère en forgeant devenir bon
forgeron. Mon vieux, que ne puis-je sauter quelques années! Quand on a déjà travaillé plusieurs années et que l'on sent qu'on est engagé sur la bonne route, il faut bien s'adapter.
….
30 mai
Si je continue, si je persévère avec prudence, c'est dans l'espoir de parvenir à dominer mon destin, de savoir que
répondre aux reproches qui m'attendent; c'est dans l'espoir tenace et confiant d'atteindre le but tant convoité, malgré tous les obstacles et de trouver grâce, si Dieu le veut, aux yeux de ceux
que j'aime et de ceux qui viendront après moi.
…….
LE BORINAGE
Novembre 1878-octobre 1880
Petit-Wasmes, 26 décembre 1878
Spectacle curieux ces jours-ci que de voir, le soir, à l'heure du crépuscule, passer les mineurs sur un fond de neige. Ils sont tout
noirs quand ils remontent des puits à la lumière du jour, on dirait des ramoneurs. En règle générale, leurs masures sont petites, on devrait dire des cabanes; elles sont disséminées le long des
chemins creux, dans les bois ou sur le versant des collines. Ca et là, on aperçoit un toit recouvert de mousse, et, le soir, les fenêtres à petits carreaux brillent d'un éclat
accueillant.
…..La neige qui est tombée ces jours derniers donne à l'ensemble l'aspect d'une feuille de papier blanche couverte d'écriture, telles
les pages de l'Evangile.
Lettres à Théo 4
Mise en ligne le 12 mars 2013
WASME
avril 1879
La campagne est très agréable ici au printemps; il y a ici ou là des endroits où l'on pourrait se croire dans les dunes,
à cause des collines. Il y a peu de temps, j'ai fait une excursion intéressante: j'ai passé six heures au fond de la mine.
Dans une des plus anciennes et des plus dangereuses des environs qu'on nomme Marcasse. Elle jouit d'une très mauvaise
renommée parce que de nombreux mineurs y ont trouvé la mort. ….. C'est un lieu lugubre, à première vue, tout dans ces parages semble sinistre et funèbre…..J'essaierai tantôt d'en faire un
croquis, afin que tu puisses en avoir une idée.
Les villages ont un air désolé, désert, mort parce que la vie est concentrée sous le sol et non dessus….
juin 1879
…. Je ne connais pas encore de meilleure définition de l' "art" que celle-ci: l'art, c'est l'homme ajouté à la
nature- la nature, la réalité, la vérité, dont l'artiste fait ressortir le sens, l'interprétation, le caractère, qu'il exprime, qu'il dégage, qu'il démêle, qu'il libère, qu'il
éclaircit…..
CUESMES
5 août 1879
Je t'écris pour te remercier de ta visite. Nous ne nous étions plus revus depuis longtemps et nous n'avions plus guère
échangé de correspondance, comme nous en avions autrefois l'habitude. Il vaut mieux, n'est-il pas vrai? Que nous restions quelquechose l'un pour l'autre, plutôt que de nous comporter comme des
cadavres, d'autant plus que cela frise l'hypocrisie, sinon la niaiserie, de faire le cadavre avant d'avoir acquis le droit à ce titre par un décès légal. Je songe à la niaiserie d'un gamin de
quatorze ans qui s'imaginait que sa dignité et son rang social l'obligent à porter un haut de forme.
Ainsi donc, les heures que nous avons passées ensemble nous ont convaincus que nous appartenions encore au royaume des
vivants.
15 octobre 1879
…Blague à part, je crois sincèrement qu'il vaut mieux que nos relations soient empreintes de confiance réciproque.
Sentir que je suis devenu un boulet ou une charge pour toi et pour les autres, que je ne suis bon à rien, que je serai bientôt à tes yeux comme un intrus et un oisif, de sorte qu'il vaudrait
mieux que je n'existe pas; savoir que je devrais m'effacer de plus en plus devant les autres,-s'il en était ainsi et pas autrement, je serais la proie de la tristesse et la victime du
désespoir.
Il m'est très pénible de supporter cette pensée, plus pénible encore de croire que je suis la cause de tant de discordes
et de chagrins dans notre milieu et dans notre famille.
Si cela était, je préférerais ne pas trop m'attarder en ce monde…