Lundi 3 décembre 2012
… Continue tes promenades et nourris en toi l'amour de la nature, c'est la meilleure manière d'apprendre tout ce qu'il faut savoir sur l'essence de l'art.
... Les peintres comprennent la nature et ils l'aiment.
… Quant à moi, ça va, j'ai un bon logement et c'est une joie pour moi de découvrir Londres, le style de vie anglais et les Anglais eux-mêmes. Et puis, il y a la nature, l'art et la poésie. Si cela n'est pas suffisant, qu'est-ce qui pourrait l'être?...
... Je saisis chaque occasion de faire un tour dans les environs, mais, pour le moment, je suis très occupé. C'est joli (bien que ce soit la ville). Les lilas, les aubépines et les cytises fleurissent dans tous les jardins; les marronniers sont splendides.
... Qui aime la nature, trouve son plaisir partout...
31 juillet 1874
...Ici, en Angleterre, j'ai perdu l'envie de dessiner, mais il est possible que cela me reprenne...
10 août 1874
...Achète-toi avec l'argent que je t'ai laissé "Voyage autour de mon jardin", promets-le-moi...
...l'automne commence à inquiéter la nature qui en devient plus recueillie, plus intime.
...Nous allons déménager, nous habiterons une maison toute tapissée de lierre....
Lettres à Théo 3
mis en ligne le 27 janvier 2013
AMSTERDAM
9 mai 1877-juillet 1878
19 mai 1877
Ça ne vas pas tout seul, mais j'espère qu'en avançant pas à pas et en m'appliquant, j'arriverai à un résultat. Evidemment, il me faudra beaucoup de temps; non seulement Corot, mais d'autres encore ont déclaré: Il m'a fallu pour cela quarante ans de travail, de pensée et d'attention.
……….
28 mai
Je ne travaille et je n'écris pas aussi rapidement ni aussi facilement que je voudrais, mais j'espère en forgeant devenir bon forgeron. Mon vieux, que ne puis-je sauter quelques années! Quand on a déjà travaillé plusieurs années et que l'on sent qu'on est engagé sur la bonne route, il faut bien s'adapter.
….
30 mai
Si je continue, si je persévère avec prudence, c'est dans l'espoir de parvenir à dominer mon destin, de savoir que répondre aux reproches qui m'attendent; c'est dans l'espoir tenace et confiant d'atteindre le but tant convoité, malgré tous les obstacles et de trouver grâce, si Dieu le veut, aux yeux de ceux que j'aime et de ceux qui viendront après moi.
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LE BORINAGE
Novembre 1878-octobre 1880
Petit-Wasmes, 26 décembre 1878
Spectacle curieux ces jours-ci que de voir, le soir, à l'heure du crépuscule, passer les mineurs sur un fond de neige. Ils sont tout noirs quand ils remontent des puits à la lumière du jour, on dirait des ramoneurs. En règle générale, leurs masures sont petites, on devrait dire des cabanes; elles sont disséminées le long des chemins creux, dans les bois ou sur le versant des collines. Ca et là, on aperçoit un toit recouvert de mousse, et, le soir, les fenêtres à petits carreaux brillent d'un éclat accueillant.
…..La neige qui est tombée ces jours derniers donne à l'ensemble l'aspect d'une feuille de papier blanche couverte d'écriture, telles les pages de l'Evangile.
Lettres à Théo 4
Mise en ligne le 12 mars 2013
WASME
avril 1879
La campagne est très agréable ici au printemps; il y a ici ou là des endroits où l'on pourrait se croire dans les dunes, à cause des collines. Il y a peu de temps, j'ai fait une excursion intéressante: j'ai passé six heures au fond de la mine.
Dans une des plus anciennes et des plus dangereuses des environs qu'on nomme Marcasse. Elle jouit d'une très mauvaise renommée parce que de nombreux mineurs y ont trouvé la mort. ….. C'est un lieu lugubre, à première vue, tout dans ces parages semble sinistre et funèbre…..J'essaierai tantôt d'en faire un croquis, afin que tu puisses en avoir une idée.
Les villages ont un air désolé, désert, mort parce que la vie est concentrée sous le sol et non dessus….
juin 1879
…. Je ne connais pas encore de meilleure définition de l' "art" que celle-ci: l'art, c'est l'homme ajouté à la nature- la nature, la réalité, la vérité, dont l'artiste fait ressortir le sens, l'interprétation, le caractère, qu'il exprime, qu'il dégage, qu'il démêle, qu'il libère, qu'il éclaircit…..
CUESMES
5 août 1879
Je t'écris pour te remercier de ta visite. Nous ne nous étions plus revus depuis longtemps et nous n'avions plus guère échangé de correspondance, comme nous en avions autrefois l'habitude. Il vaut mieux, n'est-il pas vrai? Que nous restions quelquechose l'un pour l'autre, plutôt que de nous comporter comme des cadavres, d'autant plus que cela frise l'hypocrisie, sinon la niaiserie, de faire le cadavre avant d'avoir acquis le droit à ce titre par un décès légal. Je songe à la niaiserie d'un gamin de quatorze ans qui s'imaginait que sa dignité et son rang social l'obligent à porter un haut de forme.
Ainsi donc, les heures que nous avons passées ensemble nous ont convaincus que nous appartenions encore au royaume des vivants.
15 octobre 1879
…Blague à part, je crois sincèrement qu'il vaut mieux que nos relations soient empreintes de confiance réciproque. Sentir que je suis devenu un boulet ou une charge pour toi et pour les autres, que je ne suis bon à rien, que je serai bientôt à tes yeux comme un intrus et un oisif, de sorte qu'il vaudrait mieux que je n'existe pas; savoir que je devrais m'effacer de plus en plus devant les autres,-s'il en était ainsi et pas autrement, je serais la proie de la tristesse et la victime du désespoir.
Il m'est très pénible de supporter cette pensée, plus pénible encore de croire que je suis la cause de tant de discordes et de chagrins dans notre milieu et dans notre famille.
Si cela était, je préférerais ne pas trop m'attarder en ce monde…